Image
Image
Jean-Jacques Grousseau, maire d'Athis-Mons
Type
News

« C’est chouette de voir des enfants épanouis et heureux se balader avec Le Bourgeois gentilhomme ou Candide »

Contenu

Jean-Jacques Grousseau, maire d’Athis-Mons

Dernier jour des vacances de février. Le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur les installations du Lycée international de Palaiseau, mais les sourires réchauffent l’atmosphère. Le maire d’Athis-Mons, Jean-Jacques Grousseau, s’est levé à l’aube pour accompagner les 60 jeunes athégiens qui participent au campus de l’Institut Louis Germain. Interview.

Pouvez-vous nous présenter Athis-Mons en quelques mots ?

C’est une ville de 36 000 habitants, en Essonne, proche d’Orly. Une petite France avec des quartiers prioritaires et des quartiers pavillonnaires assez classiques. Il y a du travail avec la proximité de l'aéroport d'Orly et tout type d’emplois, qualifiés et non qualifiés. La ville est bien reliée avec les transports en commun, le tramway, bientôt le métro. C’est un cadre de vie agréable même si, avec 35 % de logements sociaux et trois quartiers prioritaires, il y a beaucoup de fragilités et de situations de précarité que l’on essaie de combattre.

Quelles problématiques éducatives gérez-vous au quotidien ?

C’est une ville jeune, avec des parents et des enfants jeunes. Notre priorité, c’est d’abord d’accueillir tous ces enfants (4 200 dans le primaire et 6 000 dans le secondaire), de la maternelle à la terminale, en leur donnant les clés de la réussite, quel que soit leur milieu social, avec des conditions d’apprentissage optimales.  

On essaie de combattre le décrochage scolaire qui peut apparaître dès le CM1 ou le CM2 et qui s’accentue à l’adolescence. Cette rupture est souvent liée à une parentalité fragilisée, un contexte familial et social compliqué, des violences ou du harcèlement au collège... Avec nos moyens, on se mobilise pour éviter que ces jeunes ne basculent dans l’économie souterraine. L’objectif, c’est de consolider cette période entre 10 et 17 ans où un adolescent se construit mais peut aussi très vite se déconstruire. L’absence de formation fragilise les individus.

Plus globalement, quel diagnostic faites-vous sur notre système éducatif ?

Le fond de sauce est là : nous avons des enseignants engagés et mobilisés. Les conditions matérielles pourraient être meilleures, mais elles permettent tout de même d'organiser un apprentissage cohérent et de qualité au collège et au lycée.

Cela dit, la population scolaire grandit et on manque cruellement de moyens humains. Quand on est enseignant, qu’on travaille dans la vie scolaire, on fait souvent de la gestion au cas par cas. On a besoin d’individualiser le traitement, en particulier pour les élèves qui traversent une mauvaise passe… Je le vois à Athis-Mons. Comme on est en réseau éducatif prioritaire, on a parfois 12 élèves par classe. Dès qu’on réduit les effectifs, c’est formidable pour les apprentissages et ça permet d’avoir un suivi assez fin de chaque élève. Je pense que certains enfants se sentent parfois un peu noyés ou isolés quand ils arrivent au collège. On aurait besoin de plus de moyens humains.

C’est aussi une question de climat. Les enseignants ne peuvent pas absorber seuls toutes les problématiques de notre société et notamment la montée des violences, qu’il s’agisse des violences entre élèves ou des violences des parents envers les enseignants. En résumé, l'école publique est fragilisée, malgré un fond de sauce qui est là et qui est bon.

Quelles sont les conséquences de cette situation ?

Après 16 ans, quand il n’y a plus l’obligation de scolarité, on n’arrive pas à retenir certains jeunes. Ils quittent le système et perdent tout suivi individuel. Il y a un gros trou dans la raquette. Et puis, on a du mal à accueillir tout le monde. Ces dix dernières années, j’ai eu 25% d’augmentation de la population scolaire et les moyens mis à disposition sont restés les mêmes. 

Cela a des conséquences sur le niveau : certains enfants issus de familles défavorisés arrivent en CM2 avec de grosses lacunes pour lire et écrire. On retrouve ensuite ces problèmes au collège voire au lycée. La mission locale ou le service jeunesse de la Mairie pilotent de nombreux dispositifs de soutien scolaire et d’accompagnement, mais ceux-ci s’adressent surtout aux décrochés. 

On constate aussi une fuite vers le privé. Je n'ai rien contre le privé – la ville abrite un excellent établissement - mais ça génère un énorme problème de mixité, surtout au niveau des collèges. D’où l’importance de l’action de l’Institut Louis Germain, qui s’adresse à celles et ceux qui pourraient se dépasser encore plus au sein du système éducatif public. 

C’est important de tendre la main à ces enfants-là, qui ont beaucoup de potentiel, d’envie, de volonté et de motivation. Leur tendre la main pour qu’ils puissent se dépasser, prendre conscience de ce qu'ils sont et de ce qu'ils peuvent faire.

Quand et comment avez-vous découvert l’action de l’Institut Louis Germain ?

J’ai rencontré monsieur Puel dans un café parisien à l’été 2022. J’ai beaucoup aimé le projet et je suis allé assister à un campus dans les quartiers nord de Marseille. C’était assez extraordinaire : zéro mixité sociale et des enfants qui lisent et se passionnent pour Balzac.

On a essayé de mettre ça en place à Athis-Mons. Ça a pris du temps parce que les nouveaux dispositifs représentent une charge de travail supplémentaire. Quand on est principal d’un collège de 700 élèves, il faut d’abord faire tourner l’établissement et gérer les problématiques du quotidien, qui sont nombreuses. Il a aussi fallu sensibiliser les enseignants et les parents à l’utilité du dispositif. On a donc commencé avec des petites promotions de 5-6 élèves. Au fil du temps, ces élèves sont devenus des ambassadeurs. Ils ont parlé des campus autour d’eux. L’été dernier, on était une quarantaine et depuis la Toussaint on est une soixantaine, avec des élèves motivés qui ont envie de venir.

Quels retours avez-vous de la part des élèves ?

Je les trouve épanouis et heureux. Aujourd’hui, c’est leur dernier jour donc ils sont peut-être un peu fatigués. Ce n’est pas évident de se lever à 6h30 ou 7h pendant les vacances. Mais ça ne traîne pas la patte. Ce matin, à l’arrêt de bus, il y avait de l’enthousiasme et des sourires. Et puis, c’est chouette de voir des enfants se balader avec Le bourgeois gentilhomme ou Candide.

Ce sont des jeunes qui savent pourquoi ils sont là. Ce n’est pas le choix des parents, même s’ils soutiennent leurs enfants. Les élèves découvrent leur potentiel. Ça leur fait du bien. Quand on est au collège, on se cherche parfois des modèles. Et en REP, ce sont souvent des footballeurs ou des youtubeurs. Ici, ils comprennent qu’en travaillant dur à l’école, ils peuvent devenir eux aussi des modèles et rendre fiers leurs parents. 

J’en ai déjà vu certains se renseigner pour aller chercher un lycée exigeant à la rentrée prochaine. Ils savent qu’avec un parcours exemplaire et des diplômes, ils pourront exercer un métier qu’ils auront choisi. Ça leur donne un cap. 

En quoi les campus de l’Institut sont-ils complémentaires du travail réalisé par l’Éducation nationale ?

Il n’y a pas de rupture : les professeurs de l’Institut sont issus de l’Éducation nationale, on suit les programmes… Il n’y a pas d'opposition ni de concurrence. Dans ma ville, j’ai mis beaucoup de choses en place pour les décrochés, mais il faut aussi des dispositifs qui visent l’excellence ou, en tout cas, qui permettent aux élèves de se dépasser à travers le système éducatif.

Il y a un objectif commun qui est de tendre la main, de lutter contre le déterminisme et les préjugés. C’est une manière de montrer que, dans nos quartiers populaires, on peut aussi produire des modèles par la réussite scolaire et le travail.

D’ailleurs, l’Institut Louis Germain - comme les classes d’apprentissage artistique ou sportif - peut être un atout pour faire comprendre aux parents que les filières dites d’excellence ne se trouvent pas que dans le privé. C’est un plus pour l’enseignement public.

Quid de la dimension sociale de l’Institut Louis Germain ?

Elle est évidente. C’est comme quand Albert Camus, lors de la réception de son prix Nobel, rend hommage à son instituteur et à la main qu’il a tendu au petit enfant pauvre qu’il a été. 

Aujourd’hui, on nous dit qu’on a tous les mêmes chances de réussir, qu’on soit né dans un quartier prioritaire ou non, qu’on soit fils de cadre ou d’ouvrier… Dans les faits, ce n’est pas vrai. L’ascenseur social est en panne. Les politiques, les enseignants, l’Institut Louis Germain et ceux qui le soutiennent, notre défi à tous c’est essayer d’enrayer le déterminisme social. Peut-être que parmi les 60 élèves d’Athis-Mons qui participent au campus, certains se diront plus tard qu’ils ont réussi parce que pendant quelques années l’Institut les a soutenus et poussés dans leurs retranchements. Alors, on pourra se dire qu’on aura été utiles à quelque chose.