Image
Image
Philippe Maïsetti, professeur en Humanités
Type
News

« Ils sont capables de réfléchir, de suspendre leur jugement et de problématiser »

Contenu

Pour Philippe Maïsetti, le cours d’Humanités est bien plus qu’un cours de français. C’est la possibilité de construire des ponts avec d’autres disciplines et les références culturelles des élèves tout en navigant dans le temps et les représentations. Une aventure qui vaut bien un voyage à travers la France, de Nantes à Marseille, pour tenir son poste lors des campus. Et une interview dans la salle des profs du collège Jacques-Prévert.

Comment avez-vous connu l’Institut Louis Germain ?

Par l'intermédiaire de mon père, qui est prof à l’Institut Louis Germain depuis dix ans. Il a donné ses premiers lors du 3e campus et aujourd’hui c’est le 46ème. J’habite à Nantes mais ça fait cinq, six ans que je me déplace à Marseille pour les campus. J’ai été prof de français dans l’Éducation nationale pendant quinze ans. Je reprends un poste cette année. Mais quand j’ai commencé à l’Institut Louis Germain, j’étais en disponibilité. Je faisais de la formation et du journalisme. 

À l’époque, même si j’ai toujours eu un contact plutôt chouette avec les adolescents, j’étais un peu en froid avec l’école. Aujourd’hui, ça va mieux et c’est sans doute aussi grâce à l’Institut. 

Ici, j’ai retrouvé la possibilité de faire ce que je ne pouvais plus faire en classe.

C’est-à-dire ?

Avoir une approche sur du temps long. En ce moment, par exemple, on étudie l’histoire du héros, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, en soulignant les ruptures épistémologiques. On va évoquer Le Cid, Corneille, les valeurs aristocratiques, Cyrano, le mérite, la révolution… J’apprécie la transversalité, le concept d’Humanités qui permet, à partir d’une œuvre, de déployer une réflexion qui s’étend sur plusieurs époques et disciplines. Ce sont des choses qui seraient assez difficiles à mettre en place dans le secondaire. La durée du cours nous oblige à fragmenter, c’est plus compliqué de faire des liens entre les disciplines, et puis on n’a pas le temps : il y a un programme à suivre.

Ici, on a douze heures de cours par campus, des effectifs restreints, et on peut articuler des réflexions très variées autour d’un bouquin. C’est hyper précieux. On peut aussi davantage travailler en mode atelier d’écriture en sachant qu’à l’Institut il y a la possibilité de valoriser ce que l’on produit à travers l’édition, le théâtre… La grammaire, les textes qu’on mobilise répondent aux besoins de la production. Pour avancer, il faut aller chercher une notion, une référence, une façon de construire un récit. Il faut amener un personnage. Mais alors, ce personnage-là, dans quelle tradition on l’inscrit, etc. 

Les élèves sont capables de créer. Il faut juste leur faire franchir le pas.

Quel est l’état d’esprit des élèves ?

Ils sont dedans, ils sont motivés, ils sont là. C’est aussi lié, je crois, aux relations qu’ils nouent entre eux. Des liens très forts. Même s’ils viennent des mêmes quartiers, ils sont tous dans des établissements très différents. Ils sont contents de se retrouver. Il y a une alchimie qui s’étend parfois aux professeurs qui les ont suivis pendant plusieurs années. Ce n’est pas une relation de copain : il y a du respect, une distance, qui n’exclut pas une vraie complicité. 

Quelles sont leurs attentes par rapport à votre cours ?

Il y a une grosse différence entre les collégiens et les lycéens. Dans leur tête, les collégiens sont encore à l’école. Ils ont besoin d’être rassurés avec des exercices : on fait une dictée, on relève les adjectifs, on conjugue, on revoit les temps simples et composés. Même les lycéens sont contents de repartir avec la ligne de temps et de revoir les temps du discours. Ils le font assez peu d’habitude. 

Cela dit, ils sont plus mûrs et on peut travailler davantage la transversalité. On parle de philo, on mobilise des œuvres littéraires tout en faisant des parallèles avec leurs propres références culturelles : la k-pop quand on parle de soft power ou Metal Gear Solid quand on étudie la violence… Attention, on n’est pas dans le débat, dans le pour ou contre. On stimule des rapprochements un peu curieux pour les faire réagir et sortir de leur zone de confort. 

Au bout du compte, l’objectif c’est qu’ils soient capables de développer leur propre argumentation.

Quels bénéfices retirent-ils de leur participation aux campus ?

De la confiance, en particulier pour les filles, qui prennent plus la parole que d’habitude. Il y a un vrai renversement des rapports entre les genres à l’Institut Louis Germain. Elles sentent qu’elles ont le droit de s’exprimer, elles y vont, et les garçons respectent ça. Ici, elles tiennent même la cour de récréation.

Ensuite, il y a de vrais progrès en termes de maîtrise de la langue. Ils sont plus costauds. Ils font moins de fautes. Ils grandissent, ils ont plus de maturité. Ils sont capables de réfléchir, de suspendre leur jugement et de problématiser.

Ils ont aussi une vision plus nette des coulisses. Ils comprennent mieux comment fonctionne le processus de sélection, l’orientation. Résultat : ils subissent moins. Ils sont intéressés quand on leur parle du monde du travail. Ils se rendent compte qu’un power point plein de fautes d’orthographe, ce n’est pas possible. C’est un bon moyen pour leur expliquer pourquoi on refait de la conjugaison et de la grammaire.

Avez-vous vu certains élèves évoluer au fil des années ?

Oui, ils ont plus d’assurance, notamment à l’oral. Il y a moins de timidité, une meilleure capacité à prendre leur place dans le groupe. Pour les élèves un peu originaux, qui parlent un peu différemment, qui posent des questions en classe, et qui d’habitude sont stigmatisés, c’est un espace de respiration, avec des normes différentes. Ça leur fait du bien d’évoluer dans un cadre où leur comportement est valorisé. 

Pensez-vous que la littérature peut changer la vie des adolescents ?

Peut-être un peu moins qu’avant. Imaginez un gamin qui passe sa nuit à sécuriser une colonne de chars sur sa console et qui, le lendemain matin, se retrouve devant Racine. Pas évident que ça prenne. Cela dit, j’ai parfois vu des trucs assez extraordinaires, par exemple avec la fin du Horla, au moment de l’incendie. Ils sont assez sensibles au fait que les deux hypothèses se tiennent : un être surnaturel qui existe ou qui est le produit de l’imagination du protagoniste. Là, il se passe souvent quelque chose.

Avez-vous des stratégies pour stimuler leur curiosité intellectuelle ?

Oui, j’essaie de faire des ponts avec leurs propres références culturelles : manga, hip hop, k-pop, jeux vidéo. Moi, j’ai longtemps eu une culture très classique puis je me suis intéressé à la culture ado, aux mangas, aux séries… Je partage la même culture qu’eux, mais je la prends peut-être plus au sérieux. Par exemple, quand au XIXe siècle on fait du style indirect libre et de l’ironie, on s’interdit de faire de l’épique. Naruto ou One Piece, c’est bien plus épique que des romans du XIXe. Ça ne veut pas dire que c’est mieux mais ça peut s’inscrire dans une histoire de l’épique. On peut parler de manga sérieusement, sans être démago.

Quel diagnostic faites-vous sur le système éducatif français ?

Il y a une certaine hypocrisie : on fait croire qu’on donne sa chance à tout le monde, alors que pas du tout : les élèves handicapés ou les élèves des quartiers populaires n’ont pas les mêmes chances que les autres. À l’Institut Louis Germain, au moins, on essaye de compenser, de rétablir une certaine égalité des chances.

Êtes-vous sensible à la dimension sociale de l’Institut ?

Dans un monde idéal, je souhaiterais une société et une école de l’inclusion, pas du tri. L’Institut Louis Germain met le mérite au premier plan. Il donne des armes aux élèves défavorisés pour s’en sortir et c’est tout à fait respectable. D’autant que ça offre un espace où l’on peut amener de la curiosité, de la réflexion et former de futurs citoyens éclairés.