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Benoît Boiziot, professeur en humanités
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« J’ai retourné mon bloc-notes et, là, ils ont compris l’allégorie de la caverne »

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Benoît Boiziot, professeur en humanités

En février dernier, Benoît Boiziot a participé à son premier campus au Lycée international de Palaiseau. Au programme : Racine, Platon et beaucoup de conjugaison. Interview poigne de fer et gant de velours.

Où enseignez-vous ?

Je suis professeur de français au collège Paul-Valéry à Thiais. C’est mon premier poste et j’ai deux classes de 4e. Ils sont parfois un peu déchaînés mais ça se passe bien. 

C’est votre premier campus ?

Oui. Je trouve ça génial. J’ai des 5e et des 3e. Ils sont une vingtaine. On travaille avec des effectifs réduits donc c’est plus facile de capter l’attention des élèves, de les cadrer et d’intervenir quand l’un d’entre eux a des difficultés. 

Qu’est-ce qui vous a motivé à participer à ce campus ?

L’idée d’excellence. C’est ce qui m’a guidé quand j’ai décidé de devenir enseignant. Et puis, j’apprécie le cadre qui a été posé par monsieur Puel : le respect, la discipline… Je crois que les élèves en ont besoin. Au collège, il m’est arrivé qu’ils me le demandent : « Monsieur, soyez plus ferme ! » C’est un plaisir de travailler dans un tel contexte. 

Il y a aussi la dimension sociale : on accueille des élèves qui évoluent dans des quartiers prioritaires. Ils ont besoin et envie de faire des études. 

Constatez-vous d’autres différences par rapport à vos conditions habituelles d’enseignement ?

On est moins dérangé par le brouhaha habituel. On dispose de blocs de cours de 3 heures contre 50 minutes au collège. C’est beaucoup moins fragmenté. En quelques jours, j’ai pu faire l’équivalent de deux semaines de cours. J’ai le temps de leur faire la leçon puis des exercices. C’est la méthode la plus efficace. Pour un prof, c’est le rêve. 

Que changeriez-vous dans le système éducatif actuel ?

Il y a trop d’élèves dans les classes. C’est très difficile de faire tout le programme sans laisser certains éléments un peu de côté. C’est aussi plus compliqué de poser le cadre leçon-exercices. Il faudrait des classes moins chargées, donc plus de profs et plus de moyens. Des effectifs de 20, ça changerait tout. Pour les élèves et pour les profs. Il y aurait moins de bruit, on n’aurait pas besoin d’élever la voix et on pourrait proposer un suivi plus individualisé.

Avez-vous pu mettre en place des méthodes pédagogiques qui ont porté leurs fruits cette semaine ?

J’ai commencé par mettre en place un cadre assez strict : ils ne s’assoient pas avant que j’aie donné l’autorisation, ils se lèvent quand un adulte entre dans la salle. 

Je suis la routine de l’Institut : 15 minutes de lecture avant de commencer le cours. Je leur propose aussi une dictée par jour. Ça m’a permis de me rendre compte qu’ils avaient besoin qu’on fasse beaucoup de conjugaison. On travaille sur la répétition. On a passé en revue les verbes des trois groupes, les exceptions, les auxiliaires… Ensuite, on a conjugué chaque verbe à tous les temps. 

L’idée, c’est aussi de leur proposer des exercices difficiles. 

Il faut qu’ils sentent la distance entre leur niveau actuel et celui qu’ils doivent atteindre.

Que pensez-vous de l’état d’esprit des élèves ?

Il est bon. La plupart des élèves ont envie d’apprendre, même s’ils sont un peu fatigués par le réveil matinal et le trajet. En tout cas, ils s’investissent.

Est-ce qu’il y a une œuvre étudiée en classe qui les a marqués ?

Les 3e ont adoré Andromaque. Ce n’est pas une pièce facile mais ils en comprennent les enjeux et les personnages. Je leur ai expliqué que c’était l’histoire de gens qui aiment d’autres gens qui ne les aiment pas forcément en retour. Sur la question de l’amour, ils ont retrouvé des choses qui les ont touchés. 

Pensez-vous que la littérature a le pouvoir de changer la vie de ces adolescents ?

Je crois qu’elle peut surtout leur offrir une culture et des références communes. C’est la base de la nation. 

La littérature peut leur faire comprendre que les mots ne sont pas juste des mots, qu’on peut exprimer des choses très complexes avec. Ils peuvent, eux aussi, s’en servir pour sortir ce qu’ils ont à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils apprennent à se découvrir et à communiquer. Petit à petit, ils comprennent que les mots ont une portée. 

Comment essayez-vous de stimuler leur curiosité pour qu’ils développent leur culture générale ?

On a fait beaucoup d’étymologie et de philosophie. On a vu des concepts comme la catharsis, qui est centrale dans le théâtre. Je ne m’interdis pas d’évoquer des notions difficiles pour enrichir leur culture générale.

J’essaie de rendre les choses vivantes. Exemple : l’allégorie de la caverne de Platon. Pour souligner qu’on a différents points de vue, qu’on ne voit pas la même réalité, j’ai pris mon bloc-notes qui a un côté blanc et un côté orange. Je leur ai montré le côté orange et j’ai dit : « C’est blanc ». Ils ont répondu : « Non, c’est orange ! » Puis j’ai retourné le bloc-notes et, là, ils ont compris.