« L'Institut Louis Germain a changé de dimension »
Alain Billiard, professeur de mathématiques
En 2014, Alain Billiard, ingénieur retraité de son état, entend parler de l’Institut Louis Germain à la radio. Dans la foulée, il traverse la France pour participer au premier campus de l’association, à Avignon, comme professeur de mathématiques. Fidèle au poste, en 2024, il continue de faire cours aux élèves du campus de Créteil. À l’occasion des dix ans de l’Institut Louis Germain, nous avons souhaité faire entendre la voix, inoubliable, de ce compagnon de la première heure et témoin privilégié. Entretien « 10 ans, 10 questions ».
- Qu’est-ce qui vous a donné envie, juste après avoir découvert l’existence de l’Institut Louis Germain, d’appeler Julien Puel et de vous porter volontaire pour participer au premier campus à Avignon, à plusieurs centaines de kilomètres de chez vous ?
La philosophie de l’Institut Louis Germain, qui s'intéresse aux élèves talentueux et ambitieux des établissements scolaires difficiles pour les inviter à se cultiver dans ces deux domaines fondamentaux que sont les sciences et les humanités. Il y avait peut-être aussi le désir de trouver les perles rares qui feront de belles trajectoires, un petit peu à l'image d'Albert Camus.
Et puis, il y avait tellement de bouquins pessimistes sur le déclin de l'école publique que je me suis dit : « Voilà enfin une idée, un essai intéressant. »
J’étais retraité depuis 4-5 ans. J’avais une culture d'ingénieur et quelques bons souvenirs de mes classes prépa en mathématiques. Je m’étais un peu rafraîchi la mémoire dans ce domaine en donnant des cours particuliers. Je me suis dit, « pourquoi pas ? » et j’ai pris contact avec Julien Puel.
Je l'ai appelé. Il était en train d’organiser sa toute première session de cours, qui a eu lieu au mois de mars 2015. C'était vraiment le tout début. Et ma foi, l'entretien que nous avons eu l’a mis en confiance. Je lui ai également donné des gages en lui envoyant quelques documents de travail. Quelques semaines plus tard, on s’est retrouvés, la veille du campus, dans un restaurant à Avignon. Le contact était fait.
- Quels souvenirs gardez-vous de ce premier campus ?
J'étais en binôme avec un monsieur qui s'appelle Christophe Deshoulières, qui était le professeur des cours d'Humanités. Il y avait deux classes et on se les répartissait le matin et l’après-midi.
Je venais de Paris en train, je louais une chambre d’hôte au pied du Palais des Papes. Christophe était un normalien qui avait beaucoup d’humour. Il était également écrivain. On allait souvent au restaurant le midi, parfois le soir. Il faut dire qu’avec le festival, Avignon est la ville des restos. On ne manquait pas de choix.
Les cours avaient lieu dans une sorte de maison de la culture, une maison associative. Il y avait deux grandes salles, c’est-à-dire juste ce qu’il nous fallait. C’était un Hôtel bâti au 15ème siècle, avec des parquets qui grinçaient et du cachet, mais qui n’était pas tout à fait adapté. On n’avait pas de tableaux blancs, par exemple. On utilisait des petits tableaux mobiles sur lesquels on mettait des planches de papier. Ensuite, nous avons été reçus par l’université, dans un cadre magnifique.
À l’époque, l’Institut Louis Germain accueillait les élèves à partir de la troisième, tous scolarisés dans des collèges très difficiles. Ce dont je me souviens, c’est que je n’avais pas vraiment de problème de discipline. Les classes étaient peu nombreuses et les élèves motivés.
- Vous avez fait une carrière d’ingénieur. Qu’est-ce qui vous a poussé vers l’enseignement ?
J'ai toujours aimé transmettre. Quand on arrive à l'âge de la retraite, on se demande ce que l’on va faire. Évidemment, chacun voit midi à sa porte. Certains ont beaucoup travaillé, sont fatigués, ont besoin de changer l'air. Moi, je suis très heureux de continuer à travailler, de continuer à avoir une utilité sociale. Franchement, je n'aurais pas pu vivre les choses autrement. Je ne sais pas ce que je serais devenu. En plus des cours que je donne par ailleurs, l'Institut Louis Germain me maintient, me motive. Et puis, ça me renvoie à ma culture scientifique, à mes années de prépa.
- Vous y avez fait de belles rencontres ?
Oui, j'aime bien la politique de recrutement de l’Institut Louis Germain. Il y a une vraie exigence avec des profs très diplômés, mais aussi parfois des profils qui sortent des sentiers battus. Je crois qu’à Marseille, il y a un général qui officie comme professeur d’Humanités. Moi-même, à Avignon, j’avais comme collègue une jeune mathématicienne qui était un peu marginale. Elle était très douée mais elle ne voulait pas entrer dans le système.
J'ai des collègues qui sont intéressants, cultivés. Les échanges qu’on peut avoir sur les élèves sont toujours intéressants. Ça fait partie des choses qui me donnent envie de revenir, campus après campus.
- Que faites-vous faire aux élèves que, selon vous, ils ne font pas dans leur scolarité classique ?
Nous sommes invités à faire des pas de côté vers des questions hors programme avec l’idée de tirer les élèves vers le haut.
Quand j’ai les élèves en face de moi, j’essaie d'assurer les fondamentaux tout en abordant des questions historiques ou des questions qui sont dans le programme des années qui suivent. C'est le défi du pédagogue : comment dérouler son propos en s'assurant que les élèves sont bien en connexion intellectuelle ? Je ne veux pas les larguer. Souvent, je mets un exercice au tableau et je passe dans les rangs pour débloquer les situations. C'est toujours intéressant de voir qu’un élève tout à coup s'éclaire parce qu'il a compris.
Lors du dernier campus, j'ai fait un exposé sur l'histoire du zéro en mathématiques. C’est une histoire passionnante, qui peut être racontée de façon très vivante. Même chose pour l'histoire de l'infini.
- Selon vous, quels sont les bénéfices que les élèves retirent de leur participation aux campus ?
Avant tout, une élévation du niveau. De mathématiques mais aussi de français.
Quand ils font un exercice sur feuille, ils travaillent aussi leur expression écrite. J’essaie de les inviter à venir au tableau pour qu’ils améliorent leur expression orale.
Parce que la bonne maîtrise du français oral et écrit est un atout majeur dans la vie d'un étudiant. J’y suis très attentif.
En collaboration avec mon binôme d'Humanités, on échange pour bien repérer les élèves en difficulté, mais aussi les bons élèves pour proposer un enseignement adapté à chacun, qui respecte le centre de gravité de la classe. Ce n'est pas toujours facile : il ne faut pas décourager les très bons par un niveau de proposition trop faible ni ceux qui sont en difficulté que l’on doit aider à suivre le rythme.
- Des années plus tard, après la fermeture de l’antenne d’Avignon et la parenthèse Covid, Julien Puel vous rappelle à l’occasion de l’ouverture d’un nouveau campus à Créteil. Comment avez-vous reçu ce coup de téléphone ?
J’avais effectivement cessé de donner des cours à l’Institut Louis Germain après que l’association a quitté Avignon. Ça aurait été un peu compliqué pour moi d’aller jusqu’à Marseille. Mais quand monsieur Puel a eu l’idée de s’implanter en région parisienne, je me suis dit : « Magnifique ! »
J’allais pouvoir reprendre contact avec l’Institut Louis Germain et retrouver les élèves. J’étais ravi de reprendre du service.
- Avignon et Créteil, ce n’est pas vraiment la même ambiance. Quelles différences mettriez-vous en avant entre votre premier et votre dernier campus ?
Effectivement, l’ambiance est un peu différente. À Avignon, qu’il s’agisse de la maison des associations ou l’université, je m’y rendais à pied alors que le collège Simone de Beauvoir, à Créteil, se trouve au terminus de la ligne 8.
À l’époque, on se fréquentait davantage entre professeurs. On pouvait dîner ensemble le soir, par exemple. En région parisienne, chacun rentre chez soi. On se voit à l’heure du déjeuner, en salle des profs, mais le temps qu’on mastique un peu…On échange un peu mais on se connaît moins bien.
Autre différence : on est dans un collège. L’Institut Louis Germain travaille avec le département donc il y a plusieurs personnes qui assurent la discipline dans la cour. À Avignon, il nous fallait surveiller les collégiens en dehors des cours. Quant aux élèves, j’ai l’impression qu’il y a un peu moins d’érosion des effectifs. Le besoin d’excellence, lui, est toujours là. Je constate malheureusement une baisse des exigences dans les programmes. L'autre jour, j'ai imprimé le sujet de baccalauréat 2023 au Burkina Faso, et j’ai été étonné de voir que leurs exigences sont supérieures aux nôtres. C'est assez dramatique.
- L’Institut Louis Germain fête ses 10 ans d’existence. Vous avez dû voir défiler de nombreuses cohortes d’élèves. Est-ce que certains vous ont marqué plus que d’autres ?
Je me souviens d'un élève à Avignon qui avait le projet de faire une école d’ingénieur. C’était un très bon élève auquel je pouvais donner des exercices un peu plus sophistiqués. Il avait plaisir à relever ces petits défis que je lui proposais. J’ai appris par la suite qu’il avait intégré l’école qu’il souhaitait, à Compiègne si mes souvenirs sont bons.
Dans ma classe de première, à Créteil, j’ai actuellement deux élèves au-dessus du lot. Pour maintenir le contact avec eux, je leur donne des exercices plus difficiles qu’aux autres. Je pense que ça les intéresse. Ils jouent le jeu.
Il me revient en mémoire une anecdote : le dernier jour du campus de Pâques 2023, je me suis fait déborder par une agitation irrépressible dans une classe de quatrième. J’en étais tellement surpris et dépité que j’ai envoyé un mail à Julien Puel et à tous mes collègues du campus. Julien m'a proposé de lui donner deux noms pour exclusion, mais c'était difficile car presque toute la classe s'y était mis. Il y avait bien un élève qui s'était crânement distingué, mais il avait par ailleurs des qualités et je décidais de donner « du temps au temps ». Un an après, au campus de Pâques 2024, le dernier jour, les élèves me quittent pour les vacances d'été. Ce même élève, qui m'avait bien irrité un an avant, me dit en partant : « Vous allez nous manquer, Monsieur ». C'est aussi pour ça que j'aime ce job.
- Quel est votre sentiment par rapport à l’évolution de l’Institut Louis Germain ? Que lui souhaiter pour la suite ?
C’est remarquable. Au départ, je dois avouer que j'étais un peu sceptique sur la viabilité du projet parce qu'il faut quand même trouver des financements. Mais Julien Puel, avec son énergie, son charisme, a réussi. Il s’est entouré de financiers, de fondations, de grandes entreprises qui ont accepté de jouer le jeu. Et il a gagné leur confiance.
Il a aussi fallu convaincre les chefs d’établissement de travailler avec l’Institut Louis Germain pour accueillir les campus mais aussi pour y envoyer leurs élèves. On le sait, dans l’Éducation nationale, il y a parfois des réticences à travailler avec le secteur privé. Mais globalement, le bilan est largement positif : de nombreux Principaux ont accepté le protocole de sélection des élèves.
L’institut Louis Germain n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière, si j’ose dire. Julien Puel a fait l’homme-orchestre pendant des années. Il a maintenant une adjointe, pour l’aider à gérer toute ce qui concerne l’organisation et la planification des campus…
L'Institut Louis Germain a changé de dimension. C'est un beau succès, qui reste fragile, parce que tout repose encore beaucoup sur les épaules de son fondateur, mais j’ai envie de dire : « Longue vie à l’Institut Louis Germain ».