« L’Institut Louis Germain remplit une mission de service public »
Rodrigue Coutouly, ex-Principal du collège Jacques-Prévert (Marseille) et membre du conseil d’administration de l’Institut Louis Germain
C’est un jour un peu spécial pour Rodrigue Coutouly. Alors que l’été touche à sa fin et que les élèves de l’Institut Louis Germain investissent à nouveau le collège Jacques-Prévert, dans les quartiers nord de Marseille, l’ancien Principal s’apprête à passer la main après 21 ans de bons et loyaux services. Entretien.
Vous avez passé votre carrière dans les préaux. Quel était votre rapport à l’école ?
J’en garde plutôt un mauvais souvenir. En fait, je n’aimais pas l’école. Entre mes deux ans et la fin du CE2, j’étais dans une école Montessori. Ensuite, on a déménagé et je me suis retrouvé dans des écoles ordinaires. J’ai très mal vécu le système classique. Longtemps après, ça a été l’une de mes motivations pour faire carrière dans l’Éducation nationale. Mais si on m’avait dit à vingt ans que je deviendrai prof, je ne l’aurais pas cru. Et pourtant, j’ai été instituteur, puis professeur d’histoire-géographie avant de devenir chef d’établissement dans les quartiers nord de Marseille. Ça fait 21 ans avec une parenthèse de 6 ans où j’ai travaillé au rectorat, comme conseiller du recteur.
Pourquoi les quartiers nord de Marseille ?
Au départ c’était un peu par hasard, parce que c’était plus facile d’y obtenir une place de titulaire. Mais, très vite, j’ai eu le sentiment d’être utile en exerçant mon métier dans cet environnement. Les collectifs de travail y sont peut-être plus aboutis qu’ailleurs. Les gens qui y travaillent l’ont souvent choisi. Ce sont des enseignants motivés, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire.
On parle beaucoup de violence dans les quartiers nord de Marseille. Cela correspond-il à ce que vous avez vécu comme chef d’établissement ?
C’est un fantasme médiatique. Le moindre événement est tout de suite monté en épingle. On ne retient que les trains qui n’arrivent pas à l'heure. Dans la majorité des classes et des établissements, ça se passe bien. Je suis convaincu qu’il y a beaucoup moins de violence à l’école qu’on ne le croit. Et que ce n’est pas forcément dans les quartiers de Marseille qu’il y en a le plus.
Il y a des établissements très favorisés où le climat est détestable avec des situations bien pires. À Jacques-Prévert, en REP+, on a quand même la chance d’avoir des moyens humains conséquents. Donc, si vous arrivez à faire vivre un collectif qui fonctionne, vous n’avez pas tant de violence.
Quelles sont les problématiques éducatives auxquelles vous avez été confronté ?
J’ai beaucoup travaillé sur la question de l’autorité dans la classe. C’est un sujet crucial pour les enseignants, mais pas uniquement. Un établissement, c’est une micro-société. Mon travail, c’était aussi d’apprendre aux enfants à vivre ensemble.
L’autorité dans la classe et dans l’établissement est l’une des bases pour construire un bon climat scolaire. Il faut aussi un collectif soudé et qui partage la même vision de l’école et des élèves, un collectif prêt à tout pour faire réussir les élèves. À partir de là, on peut faire des choses formidables. Les élèves le sentent. Ça a des effets sur leur comportement et leurs résultats.
Quel est le rôle du chef d’établissement ?
C’est un facilitateur qui doit faire en sorte que la communauté éducative fonctionne bien. Il doit mettre de l’huile dans les rouages, faire confiance aux équipes, trouver le bon équilibre entre la réalité du terrain et les injonctions parfois contradictoires du ministère, c’est-à-dire faire le tri entre ce qui est pertinent et ce qui est infaisable.
Il y a aussi une relation de confiance à établir avec les parents. J’avais l’habitude de leur écrire régulièrement. Il faut leur montrer qu’on fait ce qu’on dit. S’il y a contradiction, on perd la confiance.
Quand avez-vous entendu parler de l’action de l’Institut Louis Germain ?
J’étais au rectorat où je m’occupais notamment de l’accompagnement des associations en lien avec l’école. À l’époque, l’Institut Louis Germain était tout jeune et la commission ne lui avait pas donné l’agrément parce que ses membres estimaient que c’était élitiste. Je me suis intéressé à la situation et, très vite, j’ai compris que ce n’était pas élitiste, mais qu’il s’agissait d’un parcours d’excellence. L’institut a fini par avoir son agrément et on s’est un peu perdu de vue.
Quelques années plus tard, j’étais de retour dans les quartiers nord, à Jacques-Prévert, et monsieur Puel m’a contacté car les universités avaient fermé le rideau à cause du covid. Il cherchait un établissement pour les campus. J’ai dit banco et, depuis, on a accueilli tous les campus marseillais. Ça se passe très bien.
D’après vous, pourquoi les élèves viennent-ils et restent-ils à l'Institut Louis Germain ?
Je n’ai pas de statistiques précises en tête, mais il y a tout de même de la déperdition : un quart des effectifs à mon avis. En même temps, des élèves qui acceptent de consacrer vingt jours de vacances chaque année à suivre des cours pendant six ans : chapeau !
Ce sont des élèves qui ont une appétence très forte pour l’école. Pour eux, ce n’est pas un effort d’y aller. Pendant l’année, ils sont dans des classes où l’écart entre les élèves est très fort, bien plus que dans un collège favorisé des quartiers sud de Marseille. Ici, dans une classe ordinaire de collège, vous avez trois ou quatre élèves qui ont un potentiel type Louis Germain, des élèves au milieu et des élèves qui ne savent absolument pas lire ou alors très mal. Le professeur fait tout le temps le grand écart. Les bons élèves ne s’y retrouvent pas. Avec l’Institut Louis Germain, ils vont à un autre rythme, ils vont beaucoup plus loin.
Il y a un autre phénomène que j’ai mis un peu de temps à comprendre. Vous savez, ça peut être compliqué d’être un bon élève dans un collège en REP+. Vous pouvez passer pour le fayot. À l’Institut Louis Germain, ils retrouvent des gens comme eux. On a vu beaucoup d’amitiés naître entre les élèves. Ils se revoient parfois à l'extérieur, communiquent peut-être sur les réseaux, et se retrouvent à chaque campus. Il y a un effet de sociabilité très intéressant.
Quand vous avez, par exemple, dix élèves d’un même collège qui rentrent à l’Institut Louis Germain, souvent ils ne se connaissent pas. À Louis-Germain, ils sont plus ou moins dans les mêmes groupes, ils se voient dans la cour, ils se reconnaissent. De retour dans leur collège, les liens perdurent et ils se sentent plus légitimes à être de bons élèves.
Que leur apporte l’Institut Louis Germain en termes de perspectives d’avenir ?
Nos élèves viennent très souvent de familles où personne n’a fait de longues études. Il n’y a pas de médecin, pas d'avocat, pas d'ingénieur… Pour eux, ça reste un fantasme et ils en ont une vision très imprécise. Il y a aussi beaucoup d’autocensure. Si autour de moi, personne n’a fait d’études, je me dis qu’un BTS ce n’est pas si mal. Louis Germain vient contrebalancer cela. Ils vont s’autoriser à faire des études longues parce qu’ils voient d’autres élèves comme eux qui en font. Ce qui est aussi très intéressant, c’est que cette dynamique s’enclenche dès la sixième, alors que souvent, ces questions arrivent beaucoup plus tard, beaucoup trop tard. Les vrais choix commencent dès le début du collège. À partir de la troisième, les élèves assistent à des conférences avec des chercheurs, des professeurs d’université... C’est nouveau pour eux. Ça fait partie de l’écosystème qui a été construit pour leur permettre d’aller vers l’excellence. Pour moi, c’est plus efficace que de leur donner une bourse ou les faire accompagner par un chef d’entreprise.
Enfin, ce qui est fondamental et que l’Institut ne perd pas de vue, c’est que les élèves doivent acquérir ici des éléments de culture et de méthodologie qu’ils n’acquerront pas dans une classe ordinaire de collège ou lycée. Ce que les élèves favorisés vont trouver dans leur famille, en allant au musée avec leurs parents… Un exemple : à Louis Germain, on donne des livres aux élèves. Des classiques.
On voit bien qu’ils ont une appétence exceptionnelle pour la lecture. Il faut voir comment ils s’emparent de ces bouquins.
Après toutes ces années, votre vision de l’Institut Louis Germain a-t-elle changé ? Quid de la complémentarité avec l’Éducation nationale ?
Ma vision s’est approfondie. Le fait d’avoir été présent au démarrage des campus et de rencontrer les élèves a surtout validé les hypothèses que je faisais empiriquement dans mon métier d’enseignant et ensuite de personnel de direction.
Pour moi, l’Institut Louis Germain remplit une mission de service public. C’est l’Éducation nationale qui devrait le faire. Pendant longtemps, les politiques publiques autour de l’éducation dans les quartiers prioritaires ne se sont intéressées qu’aux élèves en difficulté. Aujourd’hui, ça représente encore la plupart des dispositifs. On essaye d’éviter les décrochages. Mais il y a une vingtaine d’années, on a compris qu’il fallait aussi développer l’excellence. D’où les cordées de la réussite ou les internats d'excellence.
Ce sont des dispositifs qui ont le mérite d’exister mais, pour moi, l’Institut Louis Germain mène l’action la plus efficace et pertinente. D’ailleurs, ça pourrait être une politique publique : quand on voit le coût par élève, pour ce que ça leur apporte, ce n’est pas très élevé.
Comment mesurer l’impact de ce parcours d’excellence sur la scolarité des élèves ?
C’est difficile parce que les bons élèves restent en général de bons élèves. Cela dit, je pense que ça les aide à affiner leur statut de bons élèves. Ils travaillent des notions de manière plus approfondie. Ils prennent de l’avance. Je crois même que ça sert les élèves qui ne terminent pas Louis Germain. Parfois, certains décrochent lors du passage en seconde mais les campus ont participé de leur construction.
Qu’est-ce que l’Institut Louis Germain apporte au collège Jacques-Prévert ?
C’est un argument en faveur de la mixité sociale. Les familles de la classe moyenne peuvent se dire : « Prévert, les gamins du quartier… » mais elles savent qu’il y a aussi l’Institut Louis Germain.
Je pense à une jeune fille qui est arrivée en sixième. Ses parents étaient chefs d’entreprise. Ils n’avaient pas réussi à avoir un bon établissement et ils étaient morts de trouille. Cette gamine avait un niveau social et intellectuel qui n’avait rien à voir avec celui des autres élèves. Elle avait des problèmes de sociabilité dans sa classe. Finalement, elle a fait trois ans à Prévert et elle est rentrée à l’Institut Louis Germain, ce qui lui a permis de progresser, de s’épanouir dans un autre cadre et de se faire des amis.
J’avais beaucoup aimé votre édito « Comment font-ils ? » dans le journal d’une année à l’Institut Louis Germain. Alors je vous repose la question : comment font-ils pour se lever et sacrifier une partie de leurs vacances ?
Je voulais insister sur le côté admirable de la chose mais il faut aussi avoir en tête que les élèves de l’Institut Louis Germain vivent dans les quartiers. Ils ont des parents présents et des familles qui les encadrent bien. Souvent, ils n’ont même pas l’autorisation de descendre dans la cité. Ils sont enfermés chez eux. Ils ne sortent que quand les parents font quelque chose ou qu’ils vont à l’école. Ils sont contents de passer quatre de leurs quinze jours de vacances sur le campus.
Et les enseignants ?
On parle de la volonté des élèves, mais il faut aussi parler des profs. Certes, ils sont payés, mais moi je ne suis pas sûr que quand j’étais enseignant, j’aurais accepté de perdre un jour de congé. C’est assez exceptionnel de leur part. Je crois qu’ils sont portés par la motivation d’être utiles, auprès de publics qui en ont besoin. Je crois aussi qu’ils apprécient de pouvoir faire cours de manière différente, dans de meilleures conditions, avec des classes au niveau élevé et homogène. Un peu comme les élèves, en somme.
Quid de la dimension politique de l’Institut Louis Germain ?
Je considère qu’à partir du moment où on mène une politique publique qui va donner plus à ceux qui ont moins, oui, on est sur des enjeux de valeurs républicaines, d’égalité. Et donc oui, il y a une dimension politique. Pour moi, soutenir Louis Germain, c’est un acte politique.
Que faudrait-il faire pour donner plus d’ampleur à l’action de l’Institut Louis Germain ?
En ce moment l’Institut Louis Germain se déploie en région parisienne.
Il faudrait multiplier les campus pour répondre à ce besoin d’excellence partout en France : cent campus, un par département.
On pourrait presque souhaiter que l’État en fasse une politique publique. Ce qui reviendrait à dire de manière un peu provocatrice que l’Institut Louis Germain devrait disparaître.
Allez-vous continuer à vous engager ?
J’ai pris ma retraite le 1er octobre. Monsieur Puel m’a demandé de rentré au conseil d’administration de l’Institut et j’ai accepté. Au départ, c’est une association de gens qui ne viennent pas forcément du sérail et qui ont une connaissance limitée des rouages de l’Éducation nationale. C’est sans doute ce qui leur a permis de se lancer sans se rendre compte où ils mettaient les pieds. Moi, j’apporte cette dimension-là. Quoi qu’il en soit, j’ai vraiment envie de continuer.